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Une patiente pas comme les autres

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Années 1990, avant les trithérapies, en pleine crise du sida. Jean-Marie, jeune infirmier alors en poste dans une unité de soins intensifs, témoigne pour le Blog Sida.

***

Les personnes s’arrêtent de parler lorsque commence une histoire racontée par un professionnel de la santé, dans un centre universitaire, aux soins intensifs. Les soins intensifs, ces services tellement méconnus, où une multitude d’intervenants s’agitent jour et nuit au chevet des patients les plus surveillés et fragiles de l’Institution.

Si l’on m’avait dit un jour que je deviendrais infirmier aux soins intensifs et que j’y assumerais une continuité de 23 ans maintenant, j’aurais souri. Mon service le plus redouté a toujours été l’unité polyvalente, une véritable ruche où des patients très lourds et énigmatiques font l’objet de toutes les attentions à tous les niveaux.

Dans les années 1990, nous formions une équipe terrible, toujours capables d’affronter les situations les plus aigues, les plus diverses, les plus dramatiques, avec des moyens dont je ne peux même pas imaginer l’importance.

A l’école d’infirmières, le chapitre « Sida » en patho infectieuse n’avait pas vraiment attiré mon attention : un petit chapitre qui n’était certainement pas mal enseigné, mais c’était un chapitre qu’on n’approfondissait pas. Une maladie tellement rare et tellement méconnue, que je ne risquais guère de rencontrer un jour.

A la répartition du soir, un soir comme les autres, 8 patients à se répartir entre 5 infirmiers. J’ai pris le box 16, un « isolement ». Bonne humeur habituelle, éclats de rire, et les rapports au chevet des patients, infirmiers plongés sur ces feuilles de soins surdimensionnées.

La patiente du box 16 n’était pas comme les autres. Une jeune femme de 40 ans, même moins si je me rappelle son corps. Sédatée*, en coma artificiel profond, assistée par un respirateur : une malade fragile, certainement, mais les soins s’y assuraient sans le stress de la vitesse, sans grandes surprises.

Les patients jeunes aux soins intensifs sont loin d’être majoritaires dans les services de réanimation adultes. Les infirmiers sont responsables du respect des traitements, avec des latitudes. Une énorme latitude, une énorme feuille de traitement, revue deux fois par jour par des médecins réanimateurs.

Lors du rapport, j’étais ni plus ni moins attentif que d’habitude. Ma tête était plutôt à se tracasser de cet « isolement total ». C’est connu : dans les isolements, on est seul. Non, je n’aurais personne pour me distraire. Quasi 8 heures dans une sorte d’aquarium, déguisé en cosmonaute bleu et vert, gants, masque, bonnet, tablier, lunettes, protège chaussures. Procédures de désinfection totale pour le matériel sortant : linges, pinces, poubelles particulières, procédure de trempage dans de grands bacs dans un autre sas. S’habiller, se déshabiller, prendre les précautions dans pareil isolement demande beaucoup de temps ; il s’agit d’être rôdé à ces procédures, sans quoi le travail en lui-même ne peut être mené à bien.

La patiente que je soignais ne me dirait jamais rien, ne bougerait jamais plus. Elle n’était cependant là que depuis peu de jours. SIDA, choc septique. Nous ne savions pas vraiment à cette époque ce qu’était le SIDA, nos responsables ne connaissaient pas vraiment les modes de protection et de transmission, mais nous n’avions pas spécialement peur. La stratégie de l’isolement était maximale.

Maladie tellement mystérieuse, maladie qui ne laisse rien voir. Pas de plaie, pas de cicatrice, des pansements immaculés. Pour les infirmières, nous soignions une personne souffrant d’un choc septique gravissime dont l’issue était prévisible pour tous : elle ne sortirait pas vivante des soins, après que nous aurions tenté le maximum, comme d’habitude.

Pouvait-on parler d’acharnement thérapeutique ? Je ne me suis même pas posé la question. Nous faisions pour le mieux, la patiente profondément endormie ne souffrait pas, c’était l’essentiel pour moi. Puis, je n’avais pas encore réfléchi au sens existentiel de mon travail ; on peut être un soignant très performant en ne se posant que très peu de questions sur le sens de tel ou tel traitement. On peut très bien ne jamais rien remettre en question.

Une pneumonie bilatérale montrait une radiographie catastrophique. Plus les heures avançaient, plus les gazométries se dégradaient. A ce rythme, 100 % d’oxygène seraient nécessaires. Nous n’avons pas ajouté le NO*. Nous n’avons jamais mis la patiente sur le ventre, comme on le fait pour certains patients dont les radiographies sont épouvantables.

Le médecin chef semblait au bout de ses ressources. Au fil des jours, je crois qu’il avait effectivement perdu l’espoir d’un mieux à venir, mais les ordres étaient de continuer le traitement.

Le rythme des soins n’était ni interrompu par des incidents brutaux, ni par des alarmes incessantes ; la patiente mourrait comme une bougie s’éteint ; la température n’a jamais baissé ; la tension monitorée* nécessitait toujours plus de vasopresseurs*.

Jean-Marie

* Sédatée : sous sédatifs (Tranquillisants)
* NO : symbole chimique du monoxyde d’azote
* Monitorée : assistée par une machine
* Vasopresseur : médicament dont le but est d’augmenter la pression sanguine
Crédit photo : © Tous droits réservés

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